Des inégalités numériques qui s’accroissent

Si l’extension mondiale des services numériques s’est réalisée avec une ampleur et vitesse inédites, de nombreuses inégalités numériques subsistent. L’accessibilité est la première d’entre elles : 400 millions de personnes ne sont couverts par aucun signal, 2 milliards n’ont pas de téléphone mobile,  4 milliards n’ont pas d’accès à Internet. Le haut-débit n’est quant à lui disponible que pour un peu plus d’1 milliard de personnes. Ces inégalités se déclinent selon plusieurs axes. D’abord entre les pays développés et pays en développement, et cette fracture a tendance à s’élargir : les pays à revenus faibles et intermédiaires adoptent les TIC plus lentement que les pays développés. Dans un même pays les inégalités existent entre les populations rurales et urbaines, entre les plus jeunes et les plus âgés, entre les hommes et les femmes, entre les riches et les plus pauvres etc. L’accessibilité n’est en effet pas seulement une question de couverture par un signal, mais également de prix, d’acceptabilité sociale… et de capacité. 

L’inégalité numérique se décline en effet dans le degré d’appropriation du potentiel du numérique : pour certains, internet permet de gérer sa carrière professionnelle, ses finances et participer à la vie politique de son pays. Pour un usager analphabète et isolé, le téléphone ne peut servir qu’appeler quelques proches via des touches préprogrammées. Les bénéfices les plus modernes du numérique risquent ainsi de rester entre les mains de ceux qui sont déjà les plus connectés, éduqués et influents. Les faibles capacités personnelles, l’absence de communautés numériques, l’indisponibilité de contenus et de services locaux adaptés sont autant de facteurs qui contribuent à cette situation. L’inégalité devant le numérique n’est finalement pas seulement une inégalité de réalisation des opportunités, mais également une inégalité face aux risques, qu’il s’agisse de la surcharge d’information, de la perte d’autonomie, de lien social ou de recul face à la multitude de discours présentés sur le web. 

 

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Source : UIT, Banque mondiale, 2015


Des gouvernements pris de vitesse et des modèles de régulation qui restent à concevoir


Les opportunités du numérique sont à la mesure des défis qu’elles représentent pour les institutions publiques. Face à une adoption rapide des technologies et face au caractère déterritorialisé  d’internet, les prérogatives nationales se trouvent contestées dans leur principe et leur applicabilité. Face à ces évolutions, les gouvernements et administrations sont généralement peu préparés. Mal acclimatés aux enjeux du numérique et aux changements parfois radicaux que la transition numérique peut représenter pour leur population, pour l’économie ou pour l’environnement politique, ils se trouvent souvent démunis. 

Bien que les opportunités soient nombreuses pour améliorer la portée et l’efficacité de leur travail, les administrations peuvent également se trouver démunies face à des administrés connectés et face aux services alternatifs que le numérique apporte à ses derniers. Ils doivent s’approprier les nouveaux outils et concepts numériques pour se donner les moyens de mener leur évolution numérique dans ses aspects non seulement techniques mais aussi organisationnels. Pour cela, bien souvent, des partenariats avec des acteurs privés seront nécessaires. 

Les régulateurs sectoriels, que leurs prérogatives couvrent les télécommunications, les enjeux du numériques ou encore la vie privé, doivent également monter en compétence, renforcer leur indépendance et leur capacité d’action et savoir trouver un équilibre au service de l’intérêt général entre le contrôle des usages et la promotion de l’innovation. 

Un rôle particulier échoit aux institutions de promotion du numérique (agence de service universel, de promotion des TIC…) : proposer et réaliser de manière crédible et efficace des politiques publiques numériques volontaristes à destination des populations, et soutenir l’appropriation du numérique par tous les autres secteurs. 

Des besoins de financement non comblés

Les besoins en infrastructures restent considérables, particulièrement en Afrique, pour étendre la connectivité, mais aussi dans d’autres régions, pour sécuriser les réseaux et augmenter les débits disponibles. Les investissements ont été très majoritairement portés pendant deux décennies par le secteur privé, mais ce dernier ne saura couvrir l’ensemble des investissements nécessaires, notamment dans les régions à faible rentabilité, dans les infrastructures à longue rentabilité et dans les pays en crise ou fragiles où le risque sécuritaire ou politique est important.

Les opérateurs mobiles ont en effet investi 880 Mds entre 2011 et 2015 et prévoient d’investir 900 Mds USD sur la période 2016-2020, dont la moitié environ dans les pays en développement. Ces investissements colossaux ne seront pas suffisants pour connecter les besoins des populations aujourd’hui hors réseaux : l’ITU estime dans un rapport de 2016 que connecter les individus n’utilisant pas aujourd’hui internet (investissements hors renforcement des réseaux existants) représente un coût total additionnel de 450 Mds USD d’ici 2020, dont 62 Mds USD en Afrique et 290 Mds en Asie-Pacifique. 

Par ailleurs, des politiques publiques pour développer les compléments analogiques (capacités, institutions et réglementation) sont nécessaires pour faire du numérique un facteur de développement. Du côté de l’économie numérique, de nombreux écosystèmes d’innovation peinent à financer les entreprises innovantes, particulièrement dans leurs premières phases de croissance. La mobilisation de financement public pour ces actions reste faible voire inexistante dans de nombreux pays, malgré l’importance de l’économie numérique pour le développement durable, mais aussi la souveraineté des États.